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14 mai 2025
Perspective d’expert
La vaginose bactérienne (VB) est l’infection vaginale la plus courante chez les femmes en âge de procréer dans le monde, mais sa pathogenèse, ses stratégies de traitement optimales et ses mesures de prévention efficaces ne sont toujours pas entièrement comprises. L’un des aspects les plus frustrants de la VB, tant pour les patientes que pour les cliniciens, est son taux élevé de récurrence : jusqu’à 50 % des femmes connaîtront une récurrence dans les 6 mois1. Ce modèle clinique a soulevé des questions importantes sur la question de savoir si l’activité sexuelle peut être un facteur contributif. Bien que l’association entre la VB et l’activité sexuelle soit bien établie, la complexité de l’infection (et les résultats historiquement négatifs des essais sur le traitement des partenaires) a rendu difficile la définition précise du rôle de la transmission sexuelle dans son étiologie. Cependant, les résultats d’une étude récente publiée dans le New England Journal of Medicine offrent les données probantes les plus solides à ce jour indiquant que le traitement des partenaires masculins des femmes atteintes de VB peut réduire considérablement la récurrence2. Ces résultats ont conduit à des appels à reclassifier la VB comme une infection sexuellement transmissible (IST), mais y a-t-il d’autres données probantes à l’appui de cette perspective?
La VB peut engendrer des symptômes physiques pénibles, y compris des pertes vaginales et des odeurs, et augmenter le risque de contracter des IST, une maladie inflammatoire pelvienne et le VIH. Elle est également associée à des effets indésirables sur la reproduction, y compris des naissances prématurées, des avortements spontanés et d’autres complications obstétriques et gynécologiques. Aux États-Unis, la VB touche environ 29 % des femmes dans la population générale, avec une prévalence disproportionnellement plus élevée chez les femmes noires (52 %) et hispaniques (32 %) que chez les femmes blanches (23 %)3. Le taux élevé de récurrence signifie que de nombreuses femmes font face à des symptômes répétés, à des visites fréquentes pour des soins de santé, à plusieurs traitements antibiotiques et à une perte de temps au travail. Au-delà des symptômes physiques, la VB récurrente peut avoir une incidence importante sur le bien-être sexuel, émotionnel et social des femmes4.
Le microbiome vaginal est dynamique; des fluctuations normales surviennent pendant le cycle menstruel, la grossesse et tout au long de la vie d’une femme. Lorsqu’il est en bonne santé, le microbiome vaginal est dominé par les Lactobacillus, qui produit des composés antimicrobiens comme l’acide lactique et le peroxyde d’hydrogène. Dans la vaginose bactérienne, les lactobacilles sont remplacés par des concentrations élevées de bactéries anaérobies, ce qui entraîne une perturbation de l’environnement acide et une dysbiose.
Bactéries Lactobacillus en forme de bâtonnets
La VB a d’abord été décrite en 1955 et initialement attribuée à un seul agent pathogène bactérien, plus tard appelé Gardnerella vaginalis5. Au cours des décennies qui ont suivi, les chercheurs ont observé que Gardnerella pouvait également se trouver dans le microbiote vaginal des femmes sans VB. En fait, Gardnerella est présent chez jusqu’à 70 % des femmes sans VB6. En même temps, d’autres micro-organismes ont été de plus en plus détectés dans la flore vaginale des femmes atteintes de VB, ce qui a permis de reconnaître la VB comme une infection polymicrobienne. Les progrès réalisés dans le domaine des diagnostics moléculaires ont permis d’identifier de nombreuses nouvelles espèces bactériennes associées à la VB, ce qui a considérablement amélioré notre compréhension de sa pathogenèse et nos capacités diagnostiques6.
En plus de clarifier la pathologie de la VB, les tests moléculaires ont fourni des données probantes clés corroborant la transmission sexuelle des bactéries associées à la VB. Le séquençage génétique moderne a permis aux chercheurs de caractériser les communautés bactériennes non seulement dans le vagin, mais aussi sur le pénis; des bactéries associées à la VB ont été identifiées sur la peau de la tête du pénis et à l’extrémité de l’urètre masculin7. Par ailleurs, des études sur des couples hétérosexuels monogames ont révélé une forte concordance entre le microbiote des femmes atteintes de VB récurrente et le microbiote pénien de leurs partenaires masculins8. Un soutien supplémentaire en faveur de la transmissibilité de la VB provient d’études sur des couples de lesbiennes qui montrent une concordance entre la VB et les bactéries spécifiques associées à la VB à l’intérieur du couple9.
En plus des résultats microbiologiques, il existe des données probantes considérables reliant les facteurs de risque comportementaux à la VB. Un nombre accru de partenaires sexuels, un nouveau partenaire sexuel et l’utilisation non systématique de condoms sont en corrélation avec un risque plus élevé de VB et, à l’inverse, l’utilisation systématique de condoms est associée à une diminution du risque10. Ensemble, ces résultats suggèrent que le contact génital-génital, quel que soit le sexe, peut faciliter la transmission sexuelle de la VB.
L’hypothèse selon laquelle la VB pourrait être transmise sexuellement est apparue dès que l’affection a été identifiée. Les chercheurs qui ont découvert la VB ont mené des études dans les années 1950 pour tester cette idée. Ils ont tenté d’induire la VB chez des femmes « en bonne santé » en transférant les pertes vaginales de femmes atteintes de VB à quinze femmes sans VB et en inoculant d’autres groupes de femmes avec des cultures fraîches de Gardnerella vaginalis. La VB s’est développée chez 11/15 femmes ayant reçu des pertes vaginales transférées de femmes atteintes de VB, tandis que l’inoculation avec G. vaginalis seul a produit des résultats mitigés10.
Si la VB peut être transmise sexuellement, le traitement des partenaires pourrait théoriquement réduire la réinfection et la récurrence. Six études dans les années 1980 et 1990 ont évalué si le traitement des partenaires masculins par des antibiotiques oraux pouvait réduire les taux de récurrence chez les femmes atteintes de VB, mais aucune n’a démontré un bienfait évident. Cependant, ces essais ont présenté de nombreuses limites, notamment la petite taille des échantillons, des critères diagnostiques incohérents, des schémas antibiotiques variés, un manque de données sur l’observance et un taux d’attrition élevé10. Un essai contrôlé à répartition aléatoire plus rigoureux mené en 2021 n’a également montré aucun avantage global du traitement par voie orale chez les partenaires, bien qu’une analyse secondaire ait suggéré un certain effet chez les femmes dont les partenaires masculins respectaient le schéma thérapeutique à 100 %10,11.
Récemment, dans le New England Journal of Medicine, Vodstrcil et al. ont publié les résultats du premier ECR du traitement des partenaires masculins avec des antibiotiques oraux ET topiques simultanés pour prévenir la récurrence de la VB. Contrairement aux études antérieures sur le traitement des partenaires, un bienfait significatif a été observé; la récurrence de la VB était de 35 % lorsque les partenaires masculins des femmes atteintes de VB ont été traités contre 63 % chez les femmes dont les partenaires n’avaient pas reçu de traitement2. Ces résultats correspondaient à 2,6 épisodes de moins de VB récurrente par an pour les femmes dont les partenaires avaient également été traités. Un éditorial qui l’accompagne a souligné l’importance des résultats; ces résultats fournissent des données probantes exploitables définitives indiquant que les bactéries associées à la VB peuvent être transmises sexuellement12.
Un médecin tient un dossier médical pour montrer à sa patiente et à son partenaire les résultats de son test
Bien que prometteurs, les résultats de l’étude pourraient ne pas s’appliquer à toutes les femmes atteintes de VB récurrente. Les couples qui se sont inscrits à l’étude étaient monogames; le traitement des partenaires masculins pourrait ne pas être efficace chez les couples où l’un ou les deux partenaires ont des relations sexuelles avec d’autres personnes. La population de l’étude était petite et représentait des groupes ethniques spécifiques à l’Australie, où l’essai a eu lieu. En outre, la plupart des hommes n’étaient pas circoncis et plus du quart des femmes utilisaient des DIU, deux facteurs associés à des taux plus élevés de VB et de VB récurrente2.
Par ailleurs, 35 % des femmes dont les partenaires ont été traités ont encore présenté des infections récurrentes. Bien que les données probantes indiquent clairement que les bactéries associées à la VB peuvent être transmises sexuellement, il existe également des données probantes substantielles indiquant que d’autres facteurs peuvent également contribuer à la récurrence de la VB chez certaines femmes et/ou que la récurrence est multifactorielle. La persistance d’un biofilm associé à la VB, l’échec de la recolonisation du vagin avec les lactobacilles et les variations de la réponse immunitaire peuvent également contribuer à la probabilité de récurrence10.
Les résultats récents de l’étude sont très significatifs et signalent un changement potentiel dans la façon dont les cliniciens abordent le traitement de la VB récurrente et la façon dont ils conseillent les patientes sur le rôle de la transmission sexuelle. Plus particulièrement, les résultats soulignent la nécessité de reconnaître le rôle des partenaires masculins dans la VB récurrente et de les impliquer dans les stratégies de traitement. Cela exigera que les hommes acceptent la responsabilité de leur contribution aux infections récurrentes et s’engagent à suivre un schéma thérapeutique intensif au profit de leurs partenaires. Dans l’étude, 14 % des hommes ont signalé avoir pris moins de 70 % de leurs doses de médicament, ce qui indique que l’observance chez les hommes peut être un défi2. Cependant, ces résultats donnent un nouvel espoir aux femmes qui avaient jusqu’à présent des options limitées pour la prise en charge de la VB récurrente.
Ce changement dans la stratégie de prise en charge augmente également l’importance d’un diagnostic rapide et exact. Les progrès réalisés dans le domaine des tests moléculaires permettent désormais une identification précise et rapide des bactéries spécifiques associées à la VB. Ces tests offrent une sensibilité et une spécificité améliorées par rapport aux méthodes traditionnelles pour le diagnostic de la VB et permettent aux cliniciens de prendre des décisions éclairées au plus proche des patientes13,14. À mesure que de nouvelles approches thérapeutiques émergent pour la VB récurrente, en particulier celles impliquant la prise en charge des partenaires, un diagnostic exact et opportun devient essentiel pour assurer un traitement approprié pour les patientes et, lorsque cela est indiqué, leurs partenaires.
Références
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